De la fake news à l’emballement, et de ce que sous-entendent les réactions et les attentes que le reste du monde portent envers les deux parties du conflit.
Le petit monde de Twitter s’est emballé (et Chlomo Hebdo aussi), face à un tweet provenant d’un soit-disant compte pro-palestinien, et évoquant la mort d’un enfant palestinien (en réalité inexistant), et dont la photo d’illustration était celle du petit Grégory. Le but des créateurs était de voir comment les pro-palestiniens allaient repartager l’info. Pas de bol, c’est le « camp d’en face » (nous), qui l’avons relayé. Pétard mouillé qui a explosé à l’envers, comme un jet de gaz lacrymo qui est renvoyé par le vent vers son utilisateur.
Ce que cette réaction dit de nous
Passé le grattage de tête, on se pose la question à la rédaction de Chlomo Hebdo « mais comment on s’est fait avoir alors que nous sommes si intelligents et à majorité ashkénaze? »
Il y a d’abord un biais bien connu. On a tendance à vouloir croire ce qui arrange notre vision du monde. Chez Chlomo Hebdo nous sommes (ô surprise) juifs, et même israéliens. Mais pourtant cela n’explique pas tout.
Ce qu’il s’est déroulé précédemment a joué un rôle. Ainsi des exemples avec la photo de cette fillette russe qui s’est retrouvée pour illustrer la mort d’une enfant à Gaza a eu son influence.
De même d’autres exemples
On s’est dit « Ah un de plus. »
Et pourtant, quand bien même ces exemples sont vrais, il n’en reste pas moins que cela ne peut pas justifier de se faire avoir par un faux. Il peut ainsi exister 10 000 exemples de fakes debunkés, il faut, avant de les diffuser, toutes les vérifier, pour ne pas se faire avoir par la 10 001 qui s’avérerait un « uber fake ».
Pire encore, d’autres comptes sur les réseaux sociaux ont surfé sur ça afin de diffuser leur propre fake en parlant d’une opération financée par… Tsahal. C’est ainsi le fake qui est contre-faké par un autre fake. Presque drôle si ce n’était pas aussi tragicomique.
To share or not to share
Pourquoi l’avons nous partagé? C’est sans doute car il y avait la photo du petit Grégory, et que l’énormité de la chose nous a faite rire. Et le rire du grotesque a dépassé l’envie de vérité… C’est là que réside notre faute. Nous pourrions nous justifier et nous cacher derrière notre vitrine de site satirique, et nous en aurions le droit (bah oui, on fait ce que l’on veut) mais pour une fois, inutile de le faire. Inutile de tortiller du cul pour chier droit : tout était faux, et le but des auteurs de ce tweet était de tromper et non pas de faire rire (sauf eux-mêmes). Rien de satirique là dedans. D’ailleurs les auteurs d’origine du tweet l’ont effacé.
Dans cette guerre des images, Israël est clairement à la ramasse. Tout d’abord car Israël offre moins d’images morbides à présenter au monde. C’est le paradoxe du dôme de fer qui protège ses citoyens. « Plus je suis protégé, moins je fais de la peine. » Du côté palestinien, c’est l’inverse. On peut bien évidemment dire « Oui, mais c’est car ils utilisent leur population comme un bouclier humain », certes, mais ce n’est pas la question. Ici, ce qui compte pour le reste du monde, c’est l’image que le Hamas peut présenter au reste du monde. L’opinion publique internationale peut être au courant de la stratégie marketing morbide du Hamas (que ce dernier assume parfaitement), cela ne change rien, les images sont plus fortes, l’émotion reste plus intense. Et c’est normal.
L’inégalité des peuples … face à l’opinion
Mais cela pose aussi d’autres questions sur la manière dont les deux parties sont estimées. Si l’article de 20 minutes parle d’une manipulation visant à faire passer le visage angélique d’une petite russe pour une victime palestinienne, il est rare de voir la presse évoquer les autres cas. On peut constater cette guerre médiatique des deux côtés. Mais qui en à la charge? Les gouvernements et les responsables politiques? Des militants? Des supporters (comme au foot)? Les autorités israéliennes cherchent à donner une info « checkée » et sûre, pas tant par volonté de vérité objective (on va appuyer sur les faits qui nous arrange, c’est de « bonne guerre »), mais car les Israéliens savent qu’ils seront scrutés à la loupe et qu’on ne leur laissera rien passer.
Plus généralement, les Israéliens ont plus tendance à chercher une vérité objective que les Palestiniens. L’historien Pierre Vidal-Naquet, dans un livre d’entretien, rappelait qu’il pensait que la politique israélienne était « criminelle et suicidaire », il ne peut donc pas être considéré comme un soutien inconditionnel d’Israël. Cependant il estimait que l’on ne pouvait renvoyer dos-à-dos les livres d’Histoire proposés aux enfants israéliens et palestiniens et qu’en ce sens, il y avait un vrai problème dans le narratif palestinien.
De même l’universitaire Corey Gil-Shuster, qui mène le « Ask project » consistant à se promener en Israël et dans les territoires palestiniens afin de poser des questions aux habitants (nous recommandons très chaudement la consultation de sa chaîne YouTube qui vous en apprendra plus sur le conflit que tous les documentaires du monde), expriment cette guerre de narratif et le recul face à son propre narratif. Corey explique que la différence entre Israéliens et Palestiniens réside en partie dans la capacité des premiers à avoir un certain recul sur eux-mêmes. Pour rappel, Corey Gil-Shuster est un Israélien d’origine canadienne, clairement de gauche, athée et opposé à la politique des implantations.
Vous nous direz alors « Ah Ah ! Vous commencez cet édito en partant d’un fake provenant d’un compte pro-israélien, et vous finissez par une pirouette en accusant les Palestiniens de… « mais de quoi au juste?
Tintin chez les Palestiniens
Car il existe un autre biais dans tout ce conflit. Et pour le résumer, nous allons parler de Trevor Noah, l’animateur de l’émission américaine « The Daily Show ». Il a résumé son sentiment sur le conflit et le rapport de force entre Israéliens et Palestiniens en prenant son propre exemple. Il raconte que lorsqu’il était ado, son petit frère venait l’emmerder et qu’il avait qu’une envie : lui foutre une rouste monumentale. Sa mère lui disait alors « Tu es plus fort que ton frère, et tu pourrais le battre en 30 secondes, mais c’est toi le plus fort, donc soit le plus mature et responsable » (nous résumons, mais allez voir la vidéo que nous avons mis en lien). Ici peu importe qui a raison ou tort, c’est le rapport de force qui dicte tout. Et en effet, les Israéliens sont plus forts. Alors on pourrait arguer que le conflit ce n’est pas ça, ou qu’il y a des morts et que ça ne peut pas se résumer à celui qui a le plus de force, et vice versa, etc.
Non, ce qui est intéressant dans cet argument que l’on entend très souvent est qu’il révèle une chose bien plus étrange. Car en réalité ce n’est pas tant la force qui compte, mais la maturité. On demande ainsi à Israël un comportement plus mature. On induit que la maturité est le corollaire de la force. En quoi? On peut la souhaiter, mais ce n’est pas car l’on est moins fort que l’on est automatiquement immature. Et ce faisant on induit clairement que les Palestiniens sont… immatures.
Il y a dans cette vision des Palestiniens un mélange de paternalisme et d’un certain racisme qui maintient ce peuple dans une condition d’infériorité révoltante car bien plus subtile et perverse, car elle provient souvent de ceux qui prétendent vouloir les aider.
Souvenez-vous de « Tinton au Congo ». L’un des personnages de cette BD s’appelait Coco. Il est la caricature du gentil noir, un peu naïf, et surtout, déresponsabilisé et infantilisé, dans un paternalisme radical. Il n’y a aucune haine de Tintin envers Coco, et pourtant…
Pour faire la paix, il faut soit un vainqueur et un vaincu indéniables, à la façon des anciens conflits. Ce n’est pas le cas ici. L’autre condition est d’avoir des partenaires à égalité de maturité.
Soyons clair : les Palestiniens sont parfaitement et totalement capables d’une telle maturité. Ils ne sont pas intrinsèquement et génétiquement immatures. Leur destin n’est pas d’être conditionné ad vitam æternam à une forme de paternalisme. Pourtant, par touches plus ou moins grandes, que ce soit par le maintien éternel du statut de réfugié, par la volonté de les mettre sous coupe réglée (y compris du côté israélien), ou en les encourageant dans un narratif, le reste du monde semble s’être mis d’accord pour ne pas tenir les Palestiniens au même rang de maturité que les Israéliens, les encourageant ainsi dans une vision insoluble de ce conflit.
Ce conflit n’est pas une guerre de territoire, et encore moins de religion. C’est bien pire. Il s’agit d’un conflit de narratif, entre deux peuples qui ne se racontent pas la même histoire. Les Israéliens peuvent changer leur vision des choses, souvent de manière conflictuelle, en débattant et s’engueulant, mais ils le font, et la couverture du journal Haaretz montrant récemment les victimes palestiniennes le prouve (y compris dans les disputes qui ont suivi). Attention ! Nous n’affirmons pas que du côté israélien il n’y a pas des obtus du narratif (mais par pitié, ne prenez pas comme référence de la vision israélienne des choses celle des plus radicaux), mais ce narratif est plus souvent questionné et débattu.
Cette vision infantilisante des Palestiniens ne leur est pas propre, et n’est que l’exemple exacerbé dont une partie du monde infantilise une autre, et ne la regarde pas à égalité.
Néanmoins, l’espoir peut venir de ces intellectuels arabes qui commencent à porter un regard critique sur leur propre « camp » et la gestion de ce conflit. Des voix se font entendre, et sont la preuve même qu’il n’y a donc pas de fatalité. Le racisme consistant à regarder avec condescendance Autrui peut être brisé, et ce regard auto-critique est la preuve par ceux qui en sont les premières cibles. Cela reste limité, oui, mais c’est un signe, en espérant qu’il ne soit pas trop tard.